C’est dans un cabinet discret que je rencontre Alain. Je cherche alors à me rapprocher de la médecine chinoise: un numéro de téléphone me tombe dans les mains et une belle intuition me pousse vers son local à Challes-les-Eaux.
Le lieu de travail est sobre: rien d’inutile ou d’excessif. Une table, un bureau, quelques planches anatomiques. Une légère musique de fond composée de jazz, de classique nuance la pièce d’une certaine sérénité. Plusieurs livres de médecines ouverts montrent le retour régulier du praticien sur son métier.
L’homme lui-même est grand et il se tient droit. Son regard est direct, il a un salut franc: on le sent fait d’un seul bloc. On remarque rapidement un esprit fin et stable, un sens de la mesure chevillé au corps.
Alain Koreneff sait saisir les occasions que sa curiosité lui dévoile et ses intuitions l’ont mené sur des chemins intéressants.
Un peu plus d’une année s’est écoulée depuis. Ce local discret est devenu un étape évidente où m’arrêter. En plus de mon cursus en école, j’y forge ma pratique et j’y fais mes erreurs.
Je confie à Alain mon projet d’entretiens, il accepte de se prêter au jeu. Il sera mon premier praticien interrogé, celui qui m’aura permis cette aventure. Me voilà désormais à écouter son histoire.
Introduction
Bonjour Alain , pourriez vous vous présenter ?
Alain Koreneff, praticien en médecine traditionnelle chinoise. J’exerce sur Challes-les-Eaux, à côté de Chambéry.
La Culture Extrême orientale et vous, ça commence comment ?
Elle commence avec la pratique des arts martiaux, l’aikidô pour ne pas le nommer.
C’est en assistant à des stages où l’on m’a parlé des liens entre les techniques d’aikidô et les méridiens que j’ai été amené à m’intéresser à la grille de lecture de la Médecine Chinoise, le fonctionnement des méridiens etc. Je me suis tourné en premier lieu vers la médecine japonaise en me documentant sur des livres de shiatsu qui parlaient des méridiens : j’ai essayé d’intégrer des formations de shiatsu, mais je n’en ai pas trouvé qui me corresponde. Je me suis alors tourné vers la médecine chinoise : j’ai prêté mon corps à la science de divers praticiens et c’est comme ça que j’ai trouvé l’école où je me suis formé.
Vous avez fait vos études dans quelle école ?
Ma formation de base, je l’ai faite au sein de l’Institut de Médecine Traditionnelle Chinoise (IMTC),une école qui a plusieurs centres d’enseignement et dont le siège social est au Pontet, près d’Avignon. C’est une école qui est reliée à la faculté de médecine de Shanghai et qui correspondait au cahier des charges que je m’étais fixé, à savoir faire de la médecine manuelle.
Vous y avez appris quelles spécialités ?
Le cursus de base à l’IMTC est de passer par la pratique pour aborder la théorie. Trois enseignements étaient délivrés: la partie médecine manuelle -Le Tui Na –avec tout ce qui appartient aux normalisations ostéo-articulaires, la partie acupuncture et la partie pharmacopée chinoise ; sur laquelle j’ai eu des difficultés et sur laquelle j’ai encore des lacunes.
Dans le cursus, il n’y avait pas de séparation: la théorie fondamentale de la MTC était abordée à travers la pratique de l’acupuncture, de la médecine manuelle et était approfondie avec la pharmacopée. Il y a toujours eu ce tronc commun, cette grille de lecture de la médecine chinoise pour les trois disciplines et qu’on agrémentait à la « sauce » appropriée.
Quels ont été vos professeurs ?
Ceux de l’IMTC déjà, certains qui enseignent encore, d’autres qui ont arrêté d’enseigner désormais. J’ai continué après ma sortie de l’école à me former de façon assez assidue (5 à 10 week-ends de formation par an depuis 8 ans). J’y ai rencontré des personnes qui m’ont énormément apporté, notamment ceux qui ont mis en place le Zheng Gu Tui Na (Note :Tom Bisio et Frank Butler par l’intermédiaire de l’Association San Qi) et d’autres principalement pour l’instant en médecine manuelle, car cela a été mon principal secteur d’approfondissement.
J’ai aussi rencontré des praticiens talentueux en acupuncture qui m’ont amené à évoluer.
Pour ce qui est de la pharmacopée, c’est dans les années à venir que j’approfondirai la matière.
Je n’ai donc pas eu qu’un professeur, j’en ai en fait plusieurs, c’est assez protéiforme. Je délivre mon travail à partir de la synthèse de ces influences.
C’est en apprenant la médecine manuelle que j’ai amélioré mon acupuncture, c’est en apprenant la pharmacopée que j’ai approfondi des principes trouvés en médecine manuelle etc. Je pense qu’il y a des passerelles, une perméabilité entre les différents domaines qui constituent la médecine chinoise.
Il reste actuellement un domaine sur lequel je ne suis pas performant : c’est le Qi Gong, notamment son aspect thérapeutique.
Quelle a été votre plus grande difficulté pour vos premiers pas dans l’étude de la MTC?
C’est d’avoir bien conscience, pour moi qui avait une formation en médecine conventionnelle, qu’il fallait apprendre la MTC comme une « langue étrangère », ne pas tout mélanger.
Quand on apprend l’anglais, on ne cherche pas constamment à le comparer à la grammaire ou au vocabulaire français. Les différences sont importantes comme les singularités. Pour ce qui est du chinois, c’est une langue encore plus éloignée du français que l’anglais…
Qu’est-ce qui vous a fait passer, à la fin de votre cursus, la barrière de la professionnalisation ?
Dans mon métier précédent où j’étais infirmier anesthésiste, il y avait un fonctionnement propre à la médecine occidentale et j’ai découvert un autre monde avec la MTC. J’ai eu la chance de m’exercer pendant mon apprentissage sur mes collègues du bloc opératoire donc j’avais déjà une certaine pratique à la fin de mes études, qui d’ailleurs été validée par mes notes aux examens d’acupuncture et de médecine manuelle -beaucoup moins en pharmacopée, qui a été plus abstraite pour moi -.
La transition a été tout à fait naturelle.
Vous vous êtes rendu rapidement compte de la demande.
Quand, en arrivant à l’hôpital, mes collègues se sont mis à venir de suite vers moi en me disant « Salut Alain, tiens j’ai mal là », me disant à peine bonjour, je me suis dit qu’il était peut être possible de rendre grandement service aux gens.
Qu’est-ce qui vous motive le plus actuellement dans votre fonction ?
Rendre service.
Actuellement, en tant que praticien, quelle a été votre plus grande difficulté à ce jour ?
… Rendre service (sourire).
Disons que, même avec l’habitude et la pratique, il y a toujours des situations qui ne sont pas faciles à gérer et qui restent des grands moments de solitude…
Maintenant, quand je vois le résultat général, cela me pousse à continuer. Ne serait-ce que de pouvoir améliorer la qualité de vie de certaines personnes, sans forcément parler de quantité de vie : je pense notamment aux personnes que j’accompagne pour des cancers.
Quand je vois les résultats sur cette qualité de vie, même si c’est dur, je me dis que tant qu’à faire, on peut continuer.
Pensez vous avoir changé de technique, de pratique au cours des dernières années ?
Je change tout le temps au fur et à mesure de mes différentes acquisitions techniques, la façon dont elles se mêlent avec mes anciennes acquisitions. Je suis en permanence en train d’évoluer et puis je suis à un moment de ma pratique où mes patients m’apportent et m’apprennent énormément. Eux aussi interagissent dans ma façon de faire et me font progresser.
Qu’est-ce que le statut de praticien a changé en vous, dans votre vie quotidienne ?
J’aurais tendance à me baser sur les écrits chinois et japonais, qu’ils soient bouddhistes, taoïstes etc, qui se résument à « je suis ».
C’est une volonté de ma part d’essayer d’être, et non pas « d’être quelque chose », juste être.
A partir de là, tout un tas d’aspects changent dans les interactions que l’on peut avoir avec tout notre environnement, les rapports sociaux aussi.
C’est une démarche d’authenticité que vous mettez en œuvre ?
C’est presque une démarche spirituelle basée sur la pratique. Pas de théorie, mais la pratique comme guide.
Le Praticien face à sa Médecine
Quel point de vue portez vous sur le futur de la MTC en France et ses rapports avec la médecine conventionnelle?
De façon générale, j’évite de porter des jugements.
Je dirais cependant qu’il y a une demande pour la MTC et cette demande est en train de se développer.
La médecine chinoise a tout à fait sa place à côté de la médecine conventionnelle, chacune des approches ayant ses lettres de noblesse et ses insuffisances et elles ne sont pas les mêmes. Donc, il n’y a vraiment pas concurrence : la MTC est un autre mode et potentialise l’action de la médecine conventionnelle, et vice versa.
J’apprécie par exemple d’avoir parfois des bilans en médecine conventionnelle qui me permettent d’affiner éventuellement certaines informations que je ne peux pas gérer avec les moyens d’explorations de la MTC.
Il y a un réel enrichissement mutuel à développer.
Quel point de vue portez vous sur les dernières évolutions de la MTC, avec sa charte de qualité mise en place , les démarches liées à son enseignement et l’effort de définition de la MTC pour lui donner une place en France ?
Toute organisation a les limites de sa richesse : je trouve très intéressant qu’il y ait justement beaucoup de mouvements pour essayer de définir ce qu’est la médecine traditionnelle chinoise et le rôle qu’elle peut jouer en France.
Que ce soit l’OSMC ou la CFMTC, les différents organismes ont chacun leur fonctionnement et leur manière d’analyser la chose : et c’est du choc des idées que jaillit la lumière.
Cette dynamique est d’autant plus intéressante qu’elle fait suite à une époque où des pionniers ont reçu directement d’enseignants et/ou étaient partis directement en Chine ou au Japon recevoir un enseignement et le délivrer en France: avec tous les problème d’ego que cela a pu poser.
C’est désormais la deuxième, voire troisième génération qui est chargé d’enseigner la MTC , et la dynamique de pensée des divers courants est « nous parlons peut être de façon différente, mais nous parlons de la même chose ».
Cela permet une organisation plus solide.
Maintenant, toute organisation attire des individus plus intéressés par le « pouvoir » : il faudra voir comment la MTC va évoluer dans un tel contexte. Il suffit qu’un autocrate se mette à la tête d’une des organisations pour mettre à mal toute cette dynamique actuelle.
Pensez vous que la MTC soit une médecine mondiale ?
La MTC est une grille de lecture du fonctionnement humain qui peut s’appliquer sur toutes les populations. Il suffit de voir le travail d’une association comme Acupuncture Sans Frontières qui s’occupe d’humanitaire et qui enseigne les bases de l’acupuncture dans des dispensaires isolés un peu partout dans le monde.
Je pense notamment à un DVD qu’ils ont fait pour une mission au cœur de la forêt amazonienne : on voit que même en pleine forêt amazonienne, quelle que soit les modes de vie locaux, les croyances ou la culture, la MTC a des moyens d’action.
Il faut surtout voir cette médecine comme une très belle compréhension du mécanisme de fonctionnement du corps humain.
Donc oui, en ce qui concerne l’aspect mondial.
Après sur le plan de la mondialisation, il faut prendre également en compte la diversité des pratiques et les évolutions de la MTC, ce qu’on a fait de cette médecine un peu partout dans le monde. On sait par exemple qu’il y a des méthodes thérapeutiques qui sont en train de disparaître en orient, notamment en chine, et qui sont au contraire en train d’être travaillées dans d’autres pays, hors de Chine, soit par l’intermédiaire de la diaspora chinoise, soit par l’intermédiaire de personnes ayant reçu des enseignements et qui enrichissent actuellement l’avancée de la MTC ailleurs. C’est une vraie fourmilière en mouvement constant.
Il faut rester attentif et et observer cette diversité pour prendre le meilleur, le développer et lui apporter à notre tour.
Vous pensez aux difficultés actuelles de la pharmacopée en ce qui concerne l’import des produits hors chine ?
Je pense à un petit peu tout. Il y aurait effectivement un gros travail à faire pour élargir la compréhension d’autres zones géographique que celle de la chine selon la grille de lecture de la médecine chinoise (froid, chaleur, disperse ou soutien, plénitude et vide..). Ce serait très intéressant de le faire puisque la majorité des informations actuelles dépendent des classiques qui sont logiquement centrés sur l’espace naturel chinois.
Ne serait-ce que pour la biodiversité chinoise, ce serait une bonne chose de pouvoir compenser par la culture de plantes locales dans d’autres pays.
La Pratique en Cabinet
Parmi les diverses méthodes de traitement, quelle sont celles que vous êtes amené à utiliser le plus fréquemment ?
J’ai deux dominantes dans mon activité qui correspondent à un tropisme que j’ai eu dès le départ dans mes études : d’une part tout ce qui est Tui Na (médecine manuelle) et d’autre part l’acupuncture.
Pour ce qui est de la pharmacopée, vu les lacunes que j’avais et que j’ai essayé de combler mais que j’ai encore, je ne suis pas très à l’aise dedans. Pour moi, le soin est quelque chose de très direct : main nue, il n’y a aucun intermédiaire, l’acupuncture qui est un outil extraordinaire comporte déjà l’aiguille qui est un intermédiaire entre soignant et soigné.
Pour la pharmacopée, il y a beaucoup plus de distance avec le patient du fait de cet intermédiaire que sont le papier et le crayon.
On peut dire qu’il y a un rapport avec votre vécu, votre caractère qui conditionne ce type de préférences ?
Tout à fait.
Quels sont pour vous les critères nécessaires à l’établissement d’une pratique efficace ?
Celles que l’on retrouve également dans la déontologie de la médecine conventionnelle : déjà, ne pas nuire. Ensuite, la deuxième serait surtout de ne pas essayer de tricher : être honnête.
J’ai des lacunes ? Je n’hésite pas à envoyer le patient vers d’autres praticiens.
La situation du patient dépasse les compétences de la MTC ? Je renvoie vers la médecine conventionnelle.
Questions Ouvertes
On parle souvent du Tao dans de nombreux sujets, médicaux ou hors médicaux : mais pour vous, au quotidien, le Tao c’est quoi ?
Lao Tseu déjà dans son Dao De Jing ne le définit pas puisqu’il dit que « le dao que l’on peut nommer, n’est pas le dao».
C’est n’est pas moi qui n’ait ni le recul ni le bagage culturel d’un chinois en Chine qui vais pouvoir le définir.
Tout est le Tao : des mécaniques de l’univers à la planète, au fonctionnement des pays jusqu’à la vie locale et personnelle.
Et sur le plan pratique ? Non pas uniquement du point de vue conceptuel, mais dans l’action ?
Le changement : Tout est changement, évolution et mouvement.
Quel conseil que vous pensez utile donneriez vous aux étudiants et futurs praticiens en MTC ?
D’apprendre la MTC comme une langue étrangère, avec son propre vocabulaire, sa propre grammaire. Essayer en abordant la matière de cette manière de se mettre dans la logique de son fonctionnement.
Après, on peut choisir d’adhérer ou non, rejeter ou accepter. Mais d’abord, s’imprégner de sa logique avant de prendre position.
Merci Alain.
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Liens Corollaires:
Institut de Médecine Traditionnelle Chinoise
Zheng Gu Tui Na: Tom Bisio et Frank Butler
Organisation Syndicale de Médecine Chinoise
Très intéressée