La médecine chinoise possède ses spécificités propres, autant en terme de concepts qu’en terme de savoir-faire. À ce sujet, l’acupuncture fait partie des méthodes thérapeutiques qui étonnent.
Le terme acupunctura désigne l’usage de l’aiguille filiforme comme outil de santé: acus signifie « pointe » et punctura désigne l’action de piquer.
En chinois on nomme cette discipline 針灸.

Une connaissance antique
Au moins trois traditions médicales anciennes semblent avoir développé, dans les moments premiers de leur évolution, une conscience « énergétique »et dynamique de la santé. Dans le même ordre d’idée, elles ont développé une perception dynamique du fonctionnement du corps.
Cette conscience a débouché sur l’identification d’un réseau constitués de « canaux » à travers lesquels la vitalité s’exprime et se distribue en totalité. Outre la Chine, l’Inde semble avoir préalablement découvert et utilisé cette connaissance: nommés « marmas« , on constate leur existence dans l’Ayurveda, la science médicale de cette civilisation.
Perspective plus ancienne encore, certaines réflexions historiques sur le système des méridiens envisage l’Égypte ancienne comme ayant eu, de même, la même logique biodynamique et même identifié certains canaux: appelés « metu« , leur origine est présente sur certains papyrus retrouvés. Ceci dit, l’interprétation sur une époque aussi reculée reste délicate et incertaine.

Le monde antique ne possède pas alors la technologie qui a permis l’évolution de la science médicale moderne. Ces conditions de départ changent évidemment son processus de progression. La médecine antique utilise alors bien plus souvent les cinq sens pour « sonder » directement le vivant. L’homme-médecine utilise un savoir-faire diagnostique basé sur son observation patiente et sa compréhension des mécanismes du corps.
Plus que d’estimer une quantité, il s’agit de percevoir la qualité générale du métabolisme ausculté.
Cette priorité qualitative imprégnera toute la vision de l’univers et du corps énergétique dans la médecine chinoise; sans elle, on ne peut rien comprendre, ni utiliser efficacement sa doctrine, essentiellement fonctionnelle, pratique mais liée à l’écoute subtile de la sensorialité. Elle représente l’expérience fondamentale à partir de laquelle on détermine, d’après leurs qualités, les familles de mouvements qui jalonnent et rythment toute la création.
– Dr Jean-Marc EYSSALET; Diététique énergétique & Médecine Chinoise.
L’acupuncture – qui emploie le réseau interne découvert – s’est considérablement développée dans une Chine qui n’a pas suivi le même destin que le monde occidental. Cette civilisation devient un terreau fécond, l’occasion d’une étude plus que millénaire, source d’un héritage conséquent: au moins deux mille ans d’expérience pour identifier par la pratique clinique de nombreuses méthodes pour soigner par l’intermédiaire de l’aiguille.

Origines chinoises
Que dire de l’acupuncture en elle-même?
Nous pouvons commencer par estimer son âge en Chine à partir de ses premières mentions écrites dans le HuángdìNèijīng 黃帝內經, le plus vieux texte médical existant. Les parties les plus anciennes du manuscrit rassemblé dateraient de 300 ans avant notre ère, période des royaumes combattants.
Ce classique a été divisé en deux parties: et Suwen. Le est la partie qui évoque spécifiquement l’acupuncture et ses pratiques associées.
« Je compatis avec le peuple, à ses disettes et ses nombreuses maladies. Je désire ne plus employer de médicaments ni de poinçons de pierre, mais utiliser de petites aiguilles pour faire communiquer les canaux (
– HuángdìNèijīng: Língshūjīng 靈樞經; chap 1.
La découverte en 1973 de 14 documents médicaux sur le site archéologique de
Suite à ce premier vestige, une longue série de documents compilés ont permis aux praticiens d’alors de conserver et d’enrichir un savoir-faire.
Citons le Zhenjiu Jiaiyi Jing de Huang Fu Mi au 3ème siècle, le Tongren Zhenjiu Jing (10ème siècle) , le Zhenjiu Zishengjing (12ème siècle), le Bian Que Shenying Zhenjiu Yulong Jing (14ème siècle)… et bien d’autres, jusqu’à présent.
De quoi donner à l’expérience chinoise de l’acupuncture une cohérence et une stabilité, fondée sur un brassage régulier des expériences et des pratiques.
L’acupuncture est de nos jours toujours en évolution.

Technique
« L’essentiel dans la puncture, c’est que, lorsque le souffle arrive, cela soit efficace.
Cette efficacité se manifeste comme le vent qui disperse les nuages, et rend le ciel clair. Là est tout l’art de la puncture. »– Língshūjīng 靈樞經; chap 1
Poncturer consiste à insérer une aiguille dans l’épiderme sur une zone spécifique du corps, en lien avec les canaux identifiés par la tradition médicale chinoise. Cette insertion a une valeur thérapeutique: elle stimule le fonctionnement interne du patient et permet de le rétablir dans le cas où il soit compromis.
L’effet de la poncture sur le corps s’explique selon la grille de lecture que l’on adopte, moderne et occidentale ou bien extrême-orientale.
Pour la tradition chinoise, on interagit par l’intermédiaire de l’aiguille avec le Qi présent dans le corps du patient. Le Qi est un mouvement naturel, il signe l’activité vitale d’un individu: sa présence ou son absence conditionne le fonctionnement ou non du métabolisme. Soigner par l’aiguille, c’est donc influer le Qi pour qu’il soit présent dans une disposition raisonnable et fonctionnelle.
On l’utilise pour permettre au métabolisme de se maintenir dans un élan vital convenable.
Dans un sens scientifique moderne, on constate que de nombreuses études ont été déjà réalisées pour éclairer l’acupuncture d’un œil récent et aristotélicien. Ceci dit, ces études restent éloignées les unes des autres, et ne participent pas encore, de concert, à l’établissement d’une recherche structurée sur le sujet.
On a pu démontrer l’effet de l’acupuncture en terme de mouvement réflexes primaires: l’insertion d’une aiguille influencerait l’activité cérébrale, notamment les cortex moteurs ou somato-sensoriels, découverts par les travaux de Hughins Jackson au 19ème siècle, situé près du sillon central et qui « stocke » une « carte » détaillée du corps entier. Cette stimulation engendrerait une réponse du cortex vers le système réflexe entier.
Une autre étude (Maiken Nedergaard 2010) a « prouvé » l’efficacité de l’acupuncture par l’intervention d’une molécule lord de la poncture, favorisant la diminution de la douleur: l’adénosine. Ce point de vue propose une explication purement biochimique et peu dynamique de l’acupuncture et ne concerne que la douleur.
Autre expérience notable : les travaux de Hiroshi Motoyama (1972) sur la présence du réseau des canaux biodynamiques dans le corps.
Au moyen d’un procédé éléctrophysiologique qui mesure la résistance électrique de la peau, il aurait pu observer que l’électro potentiel sur le derme suit un chemin identique aux canaux d’acupuncture. En outre, il a pu mesurer que la transmission de cet électro potentiel n’est pas le fait des nerfs sympathiques et spinaux. Autre chose donc, en dehors des chemins physiologiques modernes connus.
Ces travaux restent de nous jours des expériences isolées et attendent d’être prises en charge par un groupe d’étude commissionné, reconnu et homologué. Il ne s’agit pas ici de valider ou de prendre parti. Plutôt de se faire un premier point de vue, sachant que les années à venir viendront compléter mes connaissances actuelles sur le sujet. A suivre…

Diversité
A la nomenclature commune des points d’acupuncture trouvés, on trouve d’autres traditions parallèles à l’acupuncture chinoise: des méthodes qui ont suivi leur propre évolution pour donner un éclairage original et différent, allant jusqu’à ne pas employer les même points ni localisations: citons l’exemple de l’acupuncture taiwanaise mise à jour par Maître Tung.
Il n’y a donc pas qu’une seule acupuncture, mais des branches diverses ayant évolué selon leur historiques. On note des différences entre l’acupuncture chinoise, japonaise et vietnamienne, entre les styles formalisés par un souci de diffusion massive et rapide, et les transmissions familiales, s’opérant de personne à personne, sur de nombreuses générations.
Face à cette diversité, les « camps » et les « partis » se forment souvent pour décider quelle serait la « vraie » acupuncture de la « fausse »: dans notre cabinet, nous sommes convaincus que seule la santé du patient compte. Ainsi, si le débat peut être intéressant et fécond en pistes de compréhension, nous n’avons aucun intérêt à nous séparer d’une forme d’acupuncture par rapport à une autre. Suivant l’esprit fondamental de toute médecine, basé sur le pragmatisme, nous approchons la médecine chinoise avec le souci du réel. Tout ce qui a un effet réel et durable est retenu. Le reste est une voie à approfondir.
Actualité
De nos jours, l’acupuncture est en passe de devenir une pratique de plus en plus connue et diffusée. On trouve de plus en plus de médecins se formant en acupuncture pour améliorer leur pratique. Parallèlement, les écoles de médecines chinoises se fédèrent et se structurent pour offrir à tous les curieux, des formations complètes et valables, permettant de transmettre les fondamentaux de cet outil thérapeutique, à la fois pratique médicale et subtilité technique, forte de milliers d’années d’expériences.
Par l’intermédiaire de formations supplémentaires, les praticiens en Médecine chinoise peuvent découvrir les traditions acupuncturales plus discrètes, importées plus facilement sur notre sol encore bien innocent de tout cet héritage.
Bien que la pratique de l’aiguille filiforme soit, de nos jours, bien plus facile d’accès qu’il y a vingt ans, reste que sa mise en oeuvre demande une régularité de pratique et un ensemble de connaissances théoriques à ne pas négliger.
Anatomie, compréhension du réseau biodynamique, compréhension diagnostique, maniement de l’outil thérapeutique, et surtout expérience pratique: l’acupuncture, destinée au soin et à la santé, se découvre, s’utilise et s’intègre dans le respect du à une tradition millénaire, encore vivante.
Un art qui n’a pas fini de révéler tous ses aspects..
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